T’es arrivé à Baltimore depuis deux ans maximum, en fait tu ne comptes plus les années depuis que tu es ici. Tu préfères, et de loin, être ici que d’être resté à Brisbane. Être loin des siens, c'est difficile, mais loin de ton père, c'est ce qui est le mieux pour toi. Tu stresses toujours quand tu songes au fait que ton père est toujours aussi bourré qu’auparavant et qu’il met la main sur ta mère, t’espères vraiment que ça, ça a changé. Tu t’en veux un peu de ne pas avoir eu le courage de rester et de te battre contre lui pour protéger les tiens. Tu gardes ta culpabilité pour toi depuis des années, et encore aujourd’hui. Bref, tu n’allais pas polémiquer sur cette histoire qui te laisse toujours une blessure au cœur, comme une cicatrice qu’on garde presque ad vitam æternam. Aujourd’hui tu rendais visite à ta grand-mère, ta mamie maternelle, celle qui n’avait jamais compris pourquoi ta mère avait épousé ton père et qui continuait de prendre des nouvelles de ta mère, sans que ton père - dont t’avais toujours aussi peur - ne soit au courant cependant, avec ton boulot de nuit et les études tu n’avais pas eu le temps d’aller voir ta Mamie donc tu voulais lui rendre une petite visite, une surprise même. Tu lui avais pris des fleurs, des tulipes blanches, des chocolats, parce que tu connaissais son péché mignon et puis tu te rendais dans le quartier de Mount Vernon qui était aussi ton quartier d’habitation d’ailleurs. T’avais choisi de ne pas habiter trop loin. T’étais un peu déphasé après avoir passé ta nuit dans le night club Euphoria où tu travaillais comme serveur dans le quartier de Canton. T’avais pris une bonne douche, tu t’étais habillé d’un jean, d’un t-shirt, un petit pull et des baskets puis t’avais pris les chocolats et les fleurs et tu te rendais chez ta grand-mère. T’arrivais peu de temps plus tard devant chez elle, et tu appuyais sur la sonnette, en espérant qu’elle ait mis ses appareils auditifs, parce que ça lui était déjà arrivé d’oublier et t’avais dû jouer à McGyver pour rentrer chez elle. T’es surpris qu’en si peu de temps, on ouvre la porte. T’affiches un large sourire, sourire qui s’efface un peu quand tu croises le regard d’une jeune fille. Coucou Mamie… Commences-tu donc par dire avant de constater que ce n’est pas ta grand-mère. Euh pardon, je suis désolé, je croyais que j’allais trouver ma grand-mère devant la porte. T’es un peu gêné, d’ailleurs t’es tout rouge, tu ne sais plus trop quoi dire en fait. 

« Coucou Mamie » c’est ce que t’avais dit, mais quand t’es tombée sur cette jeune femme, jeune femme qui te disait vraiment quelque chose, tu l’avais peut-être rencontré à l’Euphoria, après tu voyais beaucoup de monde aller et venir, mais bizarrement t’avais un souvenir d’elle, enfin ça te revenait par bribes. Tu te reprends tant bien que mal surtout qu’elle venait de te dire qu’elle n’était pas maquillée, et que ce que tu disais était un peu rude. Tu t’excuses tout de suite, ce n’était pas à elle que tu t’attendais, mais plutôt à ta grand-mère. Maintenant t’es rouge de honte, tu ne sais plus quoi dire, mais tu tentes quand même. Je suis vraiment désolée de t’avoir prise pour quelqu’un d’autre, pour ma grand-mère en fait. Tu te mords la lèvre et puis elle te dit d’entrer. Tu n’hésites pas longtemps tu n’as pas envie de rester devant la porte pendant trop longtemps, la situation est déjà un peu cocasse, pas besoin qu’elle ne le soit encore plus. Tu rentres donc, toujours aussi gêné. Merci. C’est tout ce qui sort de ta bouche. T’oses même plus aller t’asseoir, t’as l’air con comme ça en plus. Tu te cales contre le mur avant de reprendre un instant ton souffle et tes esprits. Je… Je m’appelle Sawyer au fait, et toi ? Puis tu rases les murs pour aller dans la cuisine sans lâcher la jeune femme du regard même si elle t’intimide un peu, enfin y a pas que ça, t’es surtout passé pour un con juste avant. Tu… Tu veux boire quelque chose ? Je ne sais pas si Mamie a encore du soda dans son frigo. Sinon un pichet d’eau suffirait peut-être, ou même prendre une douche ça te conviendrait peut-être mieux. Tant que t’es dans la cuisine, tu déposes les fleurs et les chocolats sur la table puis un silence s’installe entre la jeune femme et toi, et c’est là que t’entends ta grand-mère ronfler et tu ne peux t’empêcher de rire, c’est nerveux, et t’as du mal à t’arrêter, du coup tu pars dans un fou rire juste pour un ronflement ? Mon pauvre Sawyer, tu dois vraiment être fatigué pour te mettre dans ce genre de situation.

Tu te sens con clairement et puis quand tu t’excuses de nouveau, tu constates qu’elle ne peut s’empêcher de rire, et toi aussi d’ailleurs, ça en devient nerveux. Quand elle te dit que tu t’enfonces tu hoches la tête, complètement conscient que ce que tu dis n’aides pas du tout. Puis elle te laisse entrer et puis tu te sens obligé de lui proposer à boire comme si elle n’habitait pas là. Et puis quand elle se présente à toi, toi aussi t’as un flashback, puis tu te sens encore plus con, con de ne pas l’avoir reconnu tout de suite, surtout quand elle te dit que t’es pas au boulot, que t’as pas à la servir. Tu te tapes doucement la tête avec ta main, « ce que t’es con ! » Tu n’arrêtes pas de te le dire. Oui Sammy, j’suis désolé franchement, j’me souviens de toi, et je me souviens de… T’avoir embrassé, dis-tu en devenant plus rouge qu’une tomate. J’suis désolé j’ai eu une semaine de dingue. Puis tu te mords la lèvre avant de continuer à parler alors que t’aurais peut-être dû t’arrêter depuis. J’suis désolé, vraiment. Parce qu’il était clair que tu ne l’avais pas oublié, que ce baiser, ton premier d’ailleurs, était resté dans ta mémoire, d’ailleurs tu n’avais pensé qu’à ça. Tu étais loin de t’attendre au fait qu’elle habitait avec ta grand-mère. Tu te disais que le monde était clairement petit. Puis elle finit de te dire ce que tu veux et t’ouvres le frigo en lui sortant un soda, tu prends la même chose, ce que ta grand-mère appelle du « schit schit orange », c’est juste du Fanta mais elle ne retient jamais le nom. D’ailleurs ça te fait toujours rire. Puis tu sors deux verres, tu lui en tends un et tu ouvres la bouteille en te mettant un peu de soda dans ton verre, un verre de moutarde, l’habitude de Lucy. Tes parents faisaient la même, ils avaient été à « bonne école » comme on dit. Puis quand tu penses un instant à tes parents, un frisson parcourt tout ton corps. Tu n’as pas envie de penser à ton père, clairement. Puis Sammy te sort une fois de plus de tes pensées en te proposant de regarder la télé le temps que Lucy ne se réveille de sa sieste. Tu affiches un sourire pour éviter que la situation soit encore plus gênante. Ouais, j’veux bien. Si on peut éviter les Feux de l’amour ça me va, mais à cette heure j’sais pas c’qui passe. Tu ris un peu, tu te souvenais comment c’était une torture de regarder ça avec Lucy. Lorsqu’elle te dit que tu peux lui dire de se taire, tu secoues la tête, puis t’affiches ton plus beau sourire, en espérant que ça la mettrait un peu à l’aise. T’inquiètes pas, tu ne me déranges pas du tout, au contraire même.